Moderniser ou non sa marque: l’histoire de Tropicana
Doit-on nécessairement moderniser une marque après plusieurs années? Une entreprise de renom dont le branding n’a que très peu évolué depuis 30 ans mais qui rapporte tout de même d’excellents rendements d’affaires, en a payé les frais il y a quelques années. Si on actualisait le visuel de sa marque, on augmenterait les ventes? « Moderniser » n’égale pas toujours « Solution gagnante »!
Je partage avec vous l’expérience vécue par l’entreprise Tropicana, fondée en 1947. Nous sommes en 2008-09 et la direction fait le grand saut pour moderniser le branding (datant de 1988) de son produit phare, le jus d’orange Tropicana. Je laisse Loris Colantuonon, concepteur-rédacteur français, nous détailler les différents points d’une des plus grandes erreurs marketing de notre génération.
Un coût de 35 million$ et 20 million$ de pertes en 30 jours: le récit et les causes du pire rebranding de l’histoire du marketing.
En 2008, le comité directeur de Tropicana a voulu donner un coup de jeune à ses jus d’orange. La mission a été confiée à l’agence Arnell de New York, qui comptait parmi ses clients Unilever, Chrysler, Reebok ou encore Pepsi. Chez Tropicana, les espoirs étaient grands.
Mais ce qui aura été le plus grand, au bout du compte, c’est l’effroi après la mise sur le marché de la nouvelle image de marque. À tel point que seulement 30 jours plus tard, ils sont revenus à l’ancien packaging (à un détail bien cool près.)
Bon, mais qu’est-ce qui a déplu ? Oh, beaucoup de choses. C’est un cas d’école de tout ce que vous ne devez pas faire si vous souhaitez vous démarquer – surtout si vous avez tendance à suivre les modes du moment.
D’abord, le logo s’est certes modernisé, mais il a perdu au passage un peu de sa taille, de sa couleur et surtout de son audace. Pire: il est passé de l’horizontale à la verticale, d’un texte lisible à devoir se péter la nuque pour lire la marque. Ensuite, encore pire…
Le design des différentes faces est passé de clair à confus. A gauche, chaque face se lit séparément, de manière indépendante, s’auto-suffit en quelque sorte. À droite, l’agence a tenté de faire un truc cool, où les faces communiquent entre elles. Mais c’est une grossière erreur.
Ils n’ont pas réfléchi du point de vue du consommateur qui passe rapidement à travers les rayons et qui: • N’a pas le temps d’analyser les dessins sur un bout de carton. • Ne voit pas toutes les faces en même temps puisque les produits sont serrés comme des sardines.
Et dans un supermarché un produit n’a pas une seconde chance de faire une 1re bonne impression. Autre chose…
On passe de la mention “no pulp” en rouge, comme un panneau d’avertissement – plus clair tu meurs – à celle floue de “100% pure and natural.” Un jus d’orange sans pulpe, je sais ce que c’est. Mais 100% pur et naturel ? Et 80% ce serait quoi ? Bref, on ne comprend rien. Le pire…
Le pire c’est qu’ils ont remplacé l’image que les consommateurs associent aux briques de Tropicana – une grosse orange avec une paille dedans – par un verre de jus d’orange. Enlevez-la et l’association disparaît. Personne ne reconnaît Tropicana.
Au final, l’agence a travaillé des mois sur le rebranding et a facturé pas moins de 35 million$ à Tropicana, qui a perdu 20 millions de chiffre d’affaires par rapport au mois précédent. La marque américaine a abandonné le nouveau design après 30 jours.
Bien sûr, ce n’était pas la volonté de l’équipe de Peter Arnell, qui a dit: “Nous voulions amener ou faire évoluer cette marque vers un état plus actuel ou plus moderne.” Red flag: quand un marketeur utilise du jargon, c’est toujours mauvais signe.
En gros, moderne = copier ce qui est tendance et donc ce que les autres font = fade. Si une marque naît de la modernité, c’est normal qu’elle soit moderne. Mais si ses origines sont ancrées ailleurs, mieux vaut les embrasser plutôt que de les éviter.
Pour moi, la grande leçon de cet échec gigantesque c’est qu’en communication, la fonctionnalité l’emporte sur l’esthétique. On peut avoir la fonctionnalité sans l’esthétique. Encore mieux: on peut avoir les deux. Mais on ne peut pas avoir l’esthétique sans fonctionnalité.
P.S. – Le seul truc cool de ce rebranding c’est le bouchon. C’est aussi le seul élément qui a été gardé par Tropicana. Quant à l’agence Arnell, elle a fait faillite peu de temps après.
le piège des mouvements sociaux
En publicité, la direction des communications font aussi partie du « branding » d’un produit ou d’une entreprise et peut provoquer une chute fulgurante de la performance des ventes. Depuis les dernières années, plusieurs multinationales tombent de façon surprenante dans ce piège des mouvements sociaux voulant ainsi appuyer la cause au détriment leurs affaires.
Dans la catégorie « Comment perdre ses clients de façon très rapide et efficace », nommons ces deux multinationales:
Les rasoirs Gillette et la baisse drastique de 8 milliard$ au premier trimestre de 2019, grâce à une publicité qui invitait les hommes à mettre fin à leur « masculinité toxique ». C’est la compagnie Schick qui a bénéficié de cette inexplicable erreur marketing qui était de culpabiliser leur principal groupe cible (les hommes) d’être… masculin. Certains ont tenté d’expliquer cet effondrement avec la nouvelle mode « hipster » qui existe en fait depuis plus de 10 ans mais bon. Gillette a d’ailleurs exprimé ses regrets face au choix de cette publicité.
Et plus récemment, en avril 2023, la Bud Light, bière no.1 aux États-Unis depuis des décennies, a vu une chute de ses revenus de 5 Milliard$ U.S. et perdu près de 80 % de son marché, en quelques jours seulement, après avoir changé sa direction marketing en concluant un partenariat avec l’influenceur transgenre Dylan Mulvaney. L’entreprise voulait appuyer le mouvement LGBTQ+, ce qui a généré une réponse immédiate du public américain.
pour ou contre le rebranding?
Renouveler son branding est une décision de très haute importance qui aura assurément un impact dans votre rendement d’affaires, dans un sens comme dans l’autre. Outre l’importance de son coût, décider d’actualiser son image de marque ou d’adhérer à une nouvelle cause publique signifie de changer ses communications, de dire les choses autrement, en pensant garder son marché actuel tout en espérant en attirer un nouveau. Comme vous pouvez le constater, tel n’est pas toujours le cas.
Je dirais que pour un produit ou une entreprise qui s’essouffle au fil du temps (ce qui ne semblait pas être le cas des jus d’orange Tropicana, des rasoirs Gillette et de la bière Bud Light), un rebranding peut être une partie de la solution. Toutefois, dans l’ordre des choses, revoir d’abord à l’interne son administration, son département des ventes, son produit vous indiquera exactement là où se situe le problème réel. Ce n’est qu’une fois tout cela bien remis en place que l’on pourra songer à relancer une nouvelle image mieux adaptée à un marché visé.
Mais si tout va bien et que le rendement d’affaires y est, pourquoi remplacer une recette qui fonctionne?
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